mardi 30 novembre 2010

Une nuit fantastique avec Maurice Rollinat et Victor Safonkin

"Nuit Fantastique" par Maurice Rollinat, illustration de Victor Safonkin.

NUIT FANTASTIQUE


Tandis que dans l’air lourd les follets obliques
Vaguent perfidement au-dessus des trous,
Les grands oiseaux de nuit au plumage roux
Poussent lugubrement des cris faméliques,
                            Diaboliques
                            Sur les houx.

Des carcasses, cohue âpre et ténébreuse,
Dansent au cimetière entre les cyprès ;
Tout un bruissement lointain de forêts
Se mêle au choc des os — plainte douloureuse. —
                            Le vent creuse
                            Les marais.

Entendez-vous mugir les vaches perdues,
Sur un sol hérissé d’atroces cailloux

Qui percent leurs sabots comme de grands clous ?
Oh ! ces beuglements ! Les pauvres éperdues
                            Sont mordues
                            Par les loups !

Sous les vents, le bateau qu’enchaîne une corde
Au rivage pierreux crève son vieux flanc.

Le chêne formidable en vain s’essoufflant
Succombe : il faut que sous l’effroyable horde
                            Il se torde
                            En hurlant.

La nuit a tout noyé, mer ensorcelante,
Berçant le rêve au bord de ses entonnoirs,
La lune, sur l’œil fou des grands désespoirs,
Ne laisse pas filtrer sa lueur parlante.
                            O nuit lente !
                            O cieux noirs !

dimanche 28 novembre 2010

Le Démon de la perversité, par Edgar Allan Poe


Le Démon de la perversité, par Edgar Allan Poe, 1850, traduction Charles Baudelaire.
Les illustrations sont de Siegfried Zademack.

(Publié d'abord dans le numéro de Juillet 1845 du Graham's Lady's And Gentleman's Magazine, ce texte a ensuite été publié de nouveau, dans une version légèrement révisée, dans divers recueils de poèmes les années suivantes. Poe commence à être connu en France peu avant sa mort. Le jeune Baudelaire le découvre en 1847, et entreprend immédiatement la traduction de son oeuvre. Les premières Histoires Extraordinaires sont publiées à Paris dix ans plus tard.)

Dans l’examen des facultés et des penchants, — des mobiles primordiaux de l’âme humaine, — les phrénologistes ont oublié de faire une part à une tendance qui, bien qu’existant visiblement comme sentiment primitif, radical, irréductible, a été également omise par tous les moralistes qui les ont précédés. Dans la parfaite infatuation de notre raison, nous l’avons tous omise. Nous avons permis que son existence échappât à notre vue, uniquement par manque de croyance, — de foi, — que ce soit la foi dans la Révélation ou la foi dans la Cabale. L’idée ne nous en est jamais venue, simplement à cause de sa qualité surérogatoire. Nous n’avons pas senti le besoin de constater cette impulsion, — cette tendance. Nous ne pouvions pas en concevoir la nécessité. Nous ne pouvions pas saisir la notion de ce primum mobile, et, quand même elle se serait introduite de force en nous, nous n’aurions jamais pu comprendre quel rôle il jouait dans l’économie des choses humaines, temporelles ou éternelles. Il est impossible de nier que la phrénologie et une bonne partie des sciences métaphysiques ont été brassées a priori. L’homme de la métaphysique ou de la logique, bien plutôt que l’homme de l’intelligence et de l’observation, prétend concevoir les desseins de Dieu, — lui dicter des plans. Ayant ainsi approfondi à sa pleine satisfaction les intentions de Jéhovah, d’après ces dites intentions, il a bâti ses innombrables et capricieux systèmes. En matière de phrénologie, par exemple, nous avons d’abord établi, assez naturellement d’ailleurs, qu’il était dans les desseins de la Divinité que l’homme mangeât. Puis nous avons assigné à l’homme un organe d’alimentivité, et cet organe est le fouet avec lequel Dieu contraint l’homme à manger, bon gré, mal gré. En second lieu, ayant décidé que c’était la volonté de Dieu que l’homme continuât son espèce, nous avons découvert tout de suite un organe d’amativité. Et ainsi ceux de la combativité, de l’idéalité, de la causalité, de la constructivité, — bref, tout organe représentant un penchant, un sentiment moral ou une faculté de la pure intelligence. Et dans cet emménagement des principes de l’action humaine, des Spurzheimistes, à tort ou à raison, en partie ou en totalité, n’ont fait que suivre, en principe, les traces de leurs devanciers ; déduisant et établissant chaque chose d’après la destinée préconçue de l’homme et prenant pour base les intentions de son Créateur.

Il eût été plus sage, il eût été plus sûr de baser notre classification (puisqu’il nous faut absolument classifier) sur les actes que l’homme accomplit habituellement et ceux qu’il accomplit occasionnellement, toujours occasionnellement, plutôt que sur l’hypothèse que c’est la Divinité elle-même qui les lui fait accomplir. Si nous ne pouvons pas comprendre Dieu dans ses œuvres visibles, comment donc le comprendrions-nous dans ses inconcevables pensées, qui appellent ces œuvres à la Vie ? Si nous ne pouvons le concevoir dans ses créatures objectives, comment le concevrons-nous dans ses modes inconditionnels et dans ses phases de création ? L’induction a posteriori aurait conduit la phrénologie à admettre comme principe primitif et inné de l’action humaine un je ne sais quoi paradoxal, que nous nommerons perversité, faute d’un terme plus caractéristique. Dans le sens que j’y attache, c’est, en réalité, un mobile sans motif, un motif non motivé. Sous son influence, nous agissons sans but intelligible ; ou, si cela apparaît comme une contradiction dans les termes, nous pouvons modifier la proposition jusqu’à dire que, sous son influence, nous agissons par la raison que nous ne le devrions pas. En théorie, il ne peut pas y avoir de raison plus déraisonnable ; mais, en fait, il n’y en a pas de plus forte. Pour certains esprits, dans de certaines conditions, elle devient absolument irrésistible. Ma vie n’est pas une chose plus certaine pour moi que cette proposition : la certitude du péché ou de l’erreur inclus dans un acte quelconque est souvent l’unique force invincible qui nous pousse, et seule nous pousse à son accomplissement. Et cette tendance accablante à faire le mal pour l’amour du mal n’admettra aucune analyse, aucune résolution en éléments ultérieurs. C’est un mouvement radical, primitif, — élémentaire. On dira, je m’y attends, que, si nous persistons dans certains actes parce que nous sentons que nous ne devrions pas y persister, notre conduite n’est qu’une modification de celle qui dérive ordinairement de la combativité phrénologique. Mais un simple coup d’œil suffira pour découvrir la fausseté de cette idée. La combativité phrénologique a pour cause d’existence la nécessité de la défense personnelle. Elle est notre sauvegarde contre l’injustice. Son principe regarde notre bien-être ; et ainsi, en même temps qu’elle se développe, nous sentons s’exalter en nous le désir du bien-être. Il suivrait de là que le désir du bien-être devrait être simultanément excité avec tout principe qui ne serait qu’une modification de la combativité ; mais, dans le cas de ce je ne sais quoi que je définis perversité, non seulement le désir du bien-être n’est pas éveillé, mais encore apparaît un sentiment singulièrement contradictoire.

Tout homme, en faisant appel à son propre cœur, trouvera, après tout, la meilleure réponse au sophisme dont il s’agit. Quiconque consultera loyalement et interrogera soigneusement son âme, n’osera pas nier l’absolue radicalité du penchant en question. Il n’est pas moins caractérisé qu’incompréhensible. Il n’existe pas d’homme, par exemple, qui à un certain moment n’ait été dévoré d’un ardent désir de torturer son auditeur par des circonlocutions. Celui qui parle sait bien qu’il déplaît ; il a la meilleure intention de plaire ; il est habituellement bref, précis et clair ; le langage le plus laconique et le plus lumineux s’agite et se débat sur sa langue ; ce n’est qu’avec peine qu’il se contraint lui-même à lui refuser le passage, il redoute et conjure la mauvaise humeur de celui auquel il s’adresse. Cependant, cette pensée le frappe, que par certaines incises et parenthèses il pourrait engendrer cette colère. Cette simple pensée suffit. Le mouvement devient une velléité, la velléité se grossit en désir, le désir se change en un besoin irrésistible, et le besoin se satisfait, — au profond regret et à la mortification du parleur, et au mépris de toutes les conséquences.

Nous avons devant nous une tâche qu’il nous faut accomplir rapidement. Nous savons que tarder, c’est notre ruine. La plus importante crise de notre vie réclame avec la voix impérative d’une trompette l’action et l’énergie immédiates. Nous brûlons, nous sommes consumés de l’impatience de nous mettre à l’ouvrage ; l’avant-goût d’un glorieux résultat met toute notre âme en feu. Il faut, il faut que cette besogne soit attaquée aujourd’hui, — et cependant nous la renvoyons à demain ; — et pourquoi ? Il n’y a pas d’explication, si ce n’est que nous sentons que cela est pervers ; — servons-nous du mot sans comprendre le principe. Demain arrive, et en même temps une plus impatiente anxiété de faire notre devoir ; mais avec ce surcroît d’anxiété arrive aussi un désir ardent, anonyme, de différer encore, — désir positivement terrible, parce que sa nature est impénétrable. Plus le temps fuit, plus ce désir gagne de force. Il n’y a plus qu’une heure pour l’action, cette heure est à nous. Nous tremblons par la violence du conflit qui s’agite en nous, — de la bataille entre le positif et l’indéfini, entre la substance et l’ombre. Mais, si la lutte en est venue à ce point, c’est l’ombre qui l’emporte, — nous nous débattons en vain. L’horloge sonne, et c’est le glas de notre bonheur. C’est en même temps pour l’ombre qui nous a si longtemps terrorisés le chant réveille-matin, la diane du coq victorieuse des fantômes. Elle s’envole, — elle disparaît, — nous sommes libres. La vieille énergie revient. Nous travaillerons maintenant. Hélas ! il est trop tard.


Nous sommes sur le bord d’un précipice. Nous regardons dans l’abîme, — nous éprouvons du malaise et du vertige. Notre premier mouvement est de reculer devant le danger. Inexplicablement nous restons. Peu à peu notre malaise, notre vertige, notre horreur se confondent dans un sentiment nuageux et indéfinissable. Graduellement, insensiblement, ce nuage prend une forme, comme la vapeur de la bouteille d’où s’élevait le génie des Mille et une Nuits. Mais de notre nuage, sur le bord du précipice, s’élève, de plus en plus palpable, une forme mille fois plus terrible qu’aucun génie, qu’aucun démon des fables ; et cependant ce n’est qu’une pensée, mais une pensée effroyable, une pensée qui glace la moelle même de nos os, et les pénètre des féroces délices de son horreur. C’est simplement cette idée : Quelles seraient nos sensations durant le parcours d’une chute faite d’une telle hauteur ? Et cette chute, — cet anéantissement foudroyant, — par la simple raison qu’ils impliquent la plus affreuse, la plus odieuse de toutes les plus affreuses et de toutes les plus odieuses images de mort et de souffrance qui se soient jamais présentées à notre imagination, — par cette simple raison, nous les désirons alors plus ardemment. Et parce que notre jugement nous éloigne violemment du bord, à cause de cela même, nous nous en rapprochons plus impétueusement. Il n’est pas dans la nature de passion plus diaboliquement impatiente que celle d’un homme qui, frissonnant sur l’arête d’un précipice, rêve de s’y jeter. Se permettre, essayer de penser un instant seulement, c’est être inévitablement perdu ; car la réflexion nous commande de nous en abstenir, et c’est à cause de cela même, dis-je, que nous ne le pouvons pas. S’il n’y a pas là un bras ami pour nous arrêter, ou si nous sommes incapables d’un soudain effort pour nous rejeter loin de l’abîme, nous nous élançons, nous sommes anéantis.

Examinons ces actions et d’autres analogues, nous trouverons qu’elles résultent uniquement de l’esprit de perversité. Nous les perpétrons simplement à cause que nous sentons que nous ne le devrions pas. En deçà ou au-delà, il n’y a pas de principe intelligible ; et nous pourrions, en vérité, considérer cette perversité comme une instigation directe de l’Archidémon, s’il n’était pas reconnu que parfois elle sert à l’accomplissement du bien. Si je vous en ai dit aussi long, c’était pour répondre en quelque sorte à votre question, — pour vous expliquer pourquoi je suis ici, — pour avoir à vous montrer un semblant de cause quelconque qui motive ces fers que je porte et cette cellule de condamné que j’habite. Si je n’avais pas été si prolixe, ou vous ne m’auriez pas du tout compris, ou, comme la foule, vous m’auriez cru fou. Maintenant vous percevrez facilement que je suis une des victimes innombrables du Démon de la Perversité.

Il est impossible qu’une action ait jamais été manigancée avec une plus parfaite délibération. Pendant des semaines, pendant des mois, je méditai sur les moyens d’assassinat. Je rejetai mille plans, parce que l’accomplissement de chacun impliquait une chance de révélation. À la longue, lisant un jour quelques mémoires français, je trouvai l’histoire d’une maladie presque mortelle qui arriva à madame Pilau, par le fait d’une chandelle accidentellement empoisonnée. L’idée frappa soudainement mon imagination. Je savais que ma victime avait l’habitude de lire dans son lit. Je savais aussi que sa chambre était petite et mal aérée. Mais je n’ai pas besoin de vous fatiguer de détails oiseux. Je ne vous raconterai pas les ruses faciles à l’aide desquelles je substituai, dans le bougeoir de sa chambre à coucher, une bougie de ma composition à celle que j’y trouvai. Le matin, on trouva l’homme mort dans son lit, et le verdict du coroner fut : Mort par la visitation de Dieu 1 .

J’héritai de sa fortune, et tout alla pour le mieux pendant plusieurs années. L’idée d’une révélation n’entra pas une seule fois dans ma cervelle. Quant aux restes de la fatale bougie, je les avais moi-même anéantis. Je n’avais pas laissé l’ombre d’un fil qui pût servir à me convaincre ou même me faire soupçonner du crime. On ne saurait concevoir quel magnifique sentiment de satisfaction s’élevait dans mon sein quand je réfléchissais sur mon absolue sécurité. Pendant une très longue période de temps, je m’accoutumai à me délecter dans ce sentiment. Il me donnait un plus réel plaisir que tous les bénéfices purement matériels résultant de mon crime. Mais à la longue arriva une époque à partir de laquelle le sentiment de plaisir se transforma, par une gradation presque imperceptible, en une pensée qui me harassait. Elle me harassait parce qu’elle me hantait. À peine pouvais-je m’en délivrer pour un instant. C’est une chose tout à fait ordinaire que d’avoir les oreilles fatiguées, ou plutôt la mémoire obsédée par une espèce de tintouin, par le refrain d’une chanson vulgaire ou par quelques lambeaux insignifiants d’opéra. Et la torture ne sera pas moindre, si la chanson est bonne en elle-même ou si l’air d’opéra est estimable. C’est ainsi qu’à la fin je me surprenais sans cesse rêvant à ma sécurité, et répétant cette phrase à voix basse : Je suis sauvé ! Un jour, tout en flânant dans les rues, je me surpris moi-même à murmurer, presque à haute voix, ces syllabes accoutumées. Dans un accès de pétulance, je les exprimais sous cette forme nouvelle : Je suis sauvé, — je suis sauvé ; — oui, — pourvu que je ne sois pas assez sot pour confesser moi-même mon cas !

À peine avais-je prononcé ces paroles, que je sentis un froid de glace filtrer jusqu’à mon cœur. J’avais acquis quelque expérience de ces accès de perversité (dont je n’ai pas sans peine expliqué la singulière nature), et je me rappelais fort bien que dans aucun cas je n’avais su résister à ces victorieuses attaques. Et maintenant cette suggestion fortuite, venant de moi-même, — que je pourrais bien être assez sot pour confesser le meurtre dont je m’étais rendu coupable, — me confrontait comme l’ombre même de celui que j’avais assassiné, — et m’appelait vers la mort.

D’abord, je fis un effort pour secouer ce cauchemar de mon âme. Je marchai vigoureusement, — plus vite, — toujours plus vite ; — à la longue je courus. J’éprouvais un désir enivrant de crier de toute ma force. Chaque flot successif de ma pensée m’accablait d’une nouvelle terreur ; car, hélas ! je comprenais bien, trop bien, que penser, dans ma situation, c’était me perdre. J’accélérai encore ma course. Je bondissais comme un fou à travers les rues encombrées de monde. À la longue, la populace prit l’alarme et courut après moi. Je sentis alors la consommation de ma destinée. Si j’avais pu m’arracher la langue, je l’eusse fait ; — mais une voix rude résonna dans mes oreilles, — une main plus rude encore m’empoigna par l’épaule. Je me retournai, j’ouvris la bouche pour aspirer. Pendant un moment, j’éprouvai toutes les angoisses de la suffocation ; je devins aveugle, sourd, ivre : et alors quelque démon invisible, pensai-je, me frappa dans le dos avec sa large main. Le secret si longtemps emprisonné s’élança de mon âme. On dit que je parlai, que je m’énonçai trè s distinctement, mais avec une énergie marquée et une ardente précipitation, comme si je craignais d’être interrompu avant d’avoir achevé les phrases brèves, mais grosses d’importance, qui me livraient au bourreau et à l’enfer. Ayant relaté tout ce qui était nécessaire pour la pleine conviction de la justice, je tombai terrassé, évanoui.

Mais pourquoi en dirais-je plus ? Aujourd’hui je porte ces chaînes, et suis ici ! Demain, je serai libre ! — mais où ?

vendredi 26 novembre 2010

Paul Eluard et Hans Bellmer dans le jeux de la poupée (Suite)


Une suite à l'article précédent....poupées, automates, masques, vous me fascinez......

" Le corps,  dans L’Anatomie de l’image, est comparable à une phrase qui vous inciterait à la désarticuler pour que se recomposent, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables." (Hans Bellmer)

Voici quelques photos recoloriée par Hans Bellmer sur le conseil de Paul Éluard.
Hans Bellmer colorie ces photographies à la main, avec une peinture à l’aniline. 
Ce procédé utilisé pour les photographies anciennes, notamment érotiques, accentue la sensation d’artifice.


Les Jeux de la Poupée par Paul Eluard.

Dans l’armoire aux enfants,
il y a des lumières enchantées,
un pistolet chargé qui inspire la terreur,
une fontaine transparente,
un bassin de pierre dont le trop-plein s’épand sur un lit d’opales,
un chasseur sans souliers,
une fille sans cheveux,
un bateau sur la mer et le marinier chante,
un cheval damassé,
un théâtre ambulant,
un grillon,
des plumes blanches tombées du nid des tourterelles,
de petits paniers creusés en cœur et pleins de crème rose,
une guitare qui fait des étincelles
et une robe qui restera toujours neuve.
»

"« On ne l’entend jamais parler de son pays, de ses parents. Elle craint une réponse du néant, le baiser d’une bouche muette. Agile et délivrée, légère mère enfant, elle jette à bas le manteau des murs et peint le jour à ses couleurs. Elle effraye les bêtes et les enfants. Elle rend les joues plus pâles et l’herbe plus cruellement verte. » (Éluard, Jeux vagues de la poupée, in Jeux de la poupée, 1949.)"


« Elle s’éveille. Elle est seule dans son lit. Que n’a-t-elle une horloge pour l’arrêter ? Appliquée penche la tête, écoute. Le silence la fait rire. Longue chute de ses cheveux noirs sur son corps minable. Appliquée passe une robe transparente. Dessous, elle a noué tant de rubans qu’une grande tiédeur l’habille de mousse et d’animaux tranquilles. Elle lèche ses doigts. Le tour de sa bouche a des saveurs d’étincelles. » (Éluard, Appliquée, in Le Minotaure, 1935")

Hans Bellmer, le Jeux de la Poupée ou l'Anatomie du Désir


"Je voulais construire une fille artificielle, aux possibilités anatomiques capables de " rephysiologiser" les vertiges de la passion "
902 – 1975) est un sculpteur et photographe d’origine allemande.
Hans Bellmer (1902 – 1975) est un sculpteur et photographe d’origine allemande (Silésie).

En 1933, Hans Bellmer est opposé au régime nazi, ce rejet lui inspirera sa première oeuvre, née en 1934,  il nommera cette merveille, "La Poupée", oeuvre dérangeante le pouvoir nazi, qui y voit l'expression d'un déviant.


Celle-ci est représentée par une sculpture de taille quasi-réelle (1,40 m), à l'image d'une jeune fille multiforme, aux cheveux foncés, coupés en frange sur le front, ornés sur le haut de la tête par un grand nœud raide, seulement vêtue de chaussettes blanches et d'escarpins de vernis noir, une grande poupée composée de nombreux membres pouvant être articulés les uns aux autres par des boules, une grosse boule, le ventre, sur laquelle peuvent s'articuler encore deux bas-ventres, quatre hanches articulées aux quatre cuisses, celles-ci articulées aux quatre jambes, et un buste à plusieurs seins, la tête et le cou amovibles.


Hans Bellmer joue avec sa Poupée et multiplie les variations avec les différents éléments de son corps; tantôt, par exemple, amputée aux genoux, la tête, décapitée, posée en arrière des deux boules des hanches figurant jeune arbre; ou, autre exemple, devenu monstre à quatre jambes, deux en haut, deux en bas, articulées à la boule centrale du ventre, mobile et suggérant la danse et la provocation du désir d'autrui, photographiée ici dans les bois, là sur un parquet, dans un grenier, vautrée tordue sur un matelas, deux jambes habillées d'un pantalon noir d'homme; ou à moitié démantelée, amputée d'une jambe, jetée dans un duvet, froissé par sa chute et son poids. Les photos étaient polychromes, Bellmer les coloriait de teintes changeantes sur la même photo, tantôt pastel, chair, rose pâle, rose plus soutenu, mauve, bleu clair, mais aussi de couleurs vives, rouge, jaune, bleu canard.


La Poupée est érotique, c'est une « créature artificielle aux multiples potentialités anatomiques », par laquelle Bellmer entend découvrir la « mécanique du désir » et démasquer « l'inconscient physique » qui nous gouverne; elle est enfantine, mais également victime de perversions sadiques; ainsi démembrée, violentée, violée, elle correspond au désir de l'artiste de voir la femme accéder « au niveau de sa vocation expérimentale".



La femme selon l'artiste serait comme une anagramme. Les photographies de la poupée séduisent les surréalistes qui décident de les publier dans la revue "Minotaure".

 A la création de la "seconde Poupée", il publie les photographies dans un ouvrage intitulé les « Jeux de la poupée" accompagnées d'un poème de Paul Éluard.

"Les jeux de la poupée" conduisent vers un monde étrange et inquiétant qui caractérise toute l'oeuvre de Hans Bellmer par les images violentes, cruelles et très actuelles qu'elles représentent. Elle est l'oeuvre d'un artiste dont l'imagination érotique obsessionnelle se focalise sur la figure emblématique d'une poupée sexuée fabriquée de ses mains.

Les corps féminins sont démontés, désarticulés, mutilés, et monstrueusement reconstruits pour être finalement déformés, ficelés et pénétrés, comme dans une référence à Sade, à qui il dediera à la fin de sa vie, un ensemble de gravures.

L'ensemble de ces photographies sont peintes à l'aniline par son ami Christian d'Orgeix et lui-même.
En 1957, Bellmer publie un texte-traité "Petite anatomie de l'inconscient physique ou petite anatomie de l'image" qui entend témoigner de sa démarche.








jeudi 25 novembre 2010

Gustav-Adolf Mossa, de Salomé aux Femmes Fatales à Eros et Thanatos

Salomé, le goût du sang   

Harpie

"La critique s'accorde sur la forte teneur symboliste de son œuvre et considère ses toiles novatrices comme une annonciation du surréalisme. Elles sont également annonciatrices de certaines bandes-dessinées comme "l'héroïc-fantasy"."

Salomé les mains sales

Cléopatre

Gustav-Adolf Mossa, né à Nice en 1883 et mort en 1971, est le dernier peintre symboliste français, il vécut toute sa vie dans sa ville natale et se consacra essentiellement à sa fonction de conservateur du musée des Beaux-Arts de la ville, poste qu’il occupa dès 1926.

Son père, Alexis Mossa (1844-1926) était lui même peintre niçois qui fit de nombreuses affiches pour le Carnaval de Nice fin XIXe siècle.

C'est volontairement qu'il occulta son oeuvre symboliste qui fut redécouverte dans les réserves après sa mort en 1971.

Les Mortes

La Gorgone

                                                                               Elle


Le Vice

Gustav-Adolf Mossa laisse derrière lui, outre son oeuvre pictural, un grand nombre de textes parmi lesquels on trouve des livrets d'opéras ou autres pièces lyriques, à l'instar de Gustave Moreau, son travail symboliste est hanté de références à la littérature : il revisite les textes fondateurs de la culture occidentale et apprécie certaines figures évoquant la décadence telles que Judith, Dalila, Sapho et Salomé, muse de presque tous les symbolistes.

Mais à la différence de ses contemporains, Mossa innove en inscrivant ces figures dans son siècle, la Belle Epoque. Dans les détails minutieux de ses œuvres, il développe une riche iconographie de l'Art nouveau : mobilier, costumes, bijoux.

Il puise également son inspiration des écrivains de son temps : Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, Gautier, et écrit lui-même des poèmes et pièces de théâtre.

Marie de Magdala

                                                                       Dalila s'amuse

                                                                       La Sirène Repue

En observant ses oeuvres, on ne peut s'empêcher de remarquer quelques similitudes avec le travail de Félicien Rops, la femme est omniprésente dans leurs œuvres, sous l’apparence de la femme fatale, cruelle , castatrice ou satanique ; elle est ange et démon à la fois. Par son travail, Mossa explore son propre inconscient et met en scène le conflit perpétuel des pulsions de vie et de mort : Eros et Thanatos.

                                                                           L’Éloge de la Folie

Le Baiser d'Hélène

Le peintre a fait un voyage particulièrement marquant en Belgique, en août 1911. D’ailleurs, à l’issue de celui-ci, il opère un véritable tournant dans son art. En s’intéressant au Moyen Âge des légendes et des enluminures, il clôture sa période symboliste et crée des œuvres essentiellement allégoriques. Lors de ce voyage, il visite Bruxelles, passe à Mons et à Waterloo, puis s’arrête à Anvers et à Gand. Enfin, il visite Bruges, la ville de sainte Ursule, qui a inspiré de nombreux artistes symbolistes, constituant ainsi pour Mossa un véritable pèlerinage.
Il ramène trente-neuf aquarelles de Bruges dont La Châsse de sainte Ursule.

 Pierrot s'en va

La Sphinge

Bruges-la-Morte

 Cette dernière est un hommage à Memling. En janvier 1912, une exposition sur le thème "Bruges et les Flandres" se tint à l’ "Artistique" de Nice, montrant les œuvres inspirées par le voyage récent de Mossa. Maurice Maeterlinck, qui résidait alors à Nice et a pu ainsi visiter cette exposition, a manifesté son vif intérêt pour le peintre : « Évidemment ce n’est pas Bruges la Morte (...) c’est une Bruges de soleil (...) celui qui a peint cette Bruges-là est un bel artiste. »

Mais le traumatisme de la première guerre mondiale, au cours de laquelle il sera blessé près d'Ypres, introduit une cassure dans son travail, qui sera ensuite plus sombre, plus désespéré. Après 1918, il y mettra lui-même un terme.

Valse Macabre

Eva Pandora
                                                                 

       Salomé

Oedipe Vainqueur

Hamlet

Autoportrait