vendredi 29 juillet 2011

Don Juan aux Enfers avec Charles Baudelaire et Dan Quintana

Toutes les illustrations sont de Dan Quintana.

"Don Juan aux enfers", par Charles Baudelaire

Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine
Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthène,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.

Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.

Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.

Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l'époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.

Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir,
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.









Terreur, hybrides et mutants entre Maupassant et Dietmar Gross


Les illustrations sont de Dietmar Gross,  peintre allemand spécialisé dans le domaine du fantastique, celui-ci nous convie dans un voyage où  hybrides et mutants dominent.
Le site de l'artiste : http://www.dietmargross.com/de/index.html


"Terreur", par Guy de Maupassant

Ce soir-là j'avais lu fort longtemps quelque auteur.
Il était bien minuit, et tout à coup j'eus peur.

Peur de quoi? je ne sais, mais une peur horrible.
Je compris, haletant et frissonnant d'effroi,
Qu'il allait se passer une chose terrible...
Alors il me sembla sentir derrière moi

Quelqu'un qui se tenait debout, dont la figure
Riait d'un rire atroce, immobile et nerveux:
Et je n'entendais rien, cependant. O torture!
Sentir qu'il se baissait à toucher mes cheveux,

Et qu'il allait poser sa main sur mon épaule,
Et que j'allais mourir au bruit de sa parole! ...
Il se penchait toujours vers moi, toujours plus près;
Et moi, pour mon salut éternel, je n'aurais

Ni fait un mouvement ni détourné la tête...
Ainsi que des oiseaux battus par la tempête,
Mes pensers tournoyaient comme affolés d'horreur.
Une sueur de mort me glaçait chaque membre,

Et je n'entendais pas d'autre bruit dans ma chambre
Que celui de mes dents qui claquaient de terreur.

Un craquement se fit soudain; fou d'épouvante,
Ayant poussé le plus terrible hurlement
Qui soit jamais sorti de poitrine vivante,
Je tombai sur le dos, roide et sans mouvement









lundi 25 juillet 2011

"Grotesque", entre Paul Verlaine et Scott G. Brooks





Les illustrations sont de Scott G. Brooks, un artiste qui nous vient de Washington.
Humoir noir, distorsions anatomiques et problèmes psychologiques sont les caractères marquants qui ressortent de ses oeuvres que j'ai choisies pour illustrer ce poème peu connu.
Le site de l'artiste : http://www.scottgbrooks.com/
"Grotesque",  par Paul Verlaine (1844-1896) - Recueil : Poèmes saturniens.
Leurs jambes pour toutes montures,
Pour tous biens l'or de leurs regards,
Par le chemin des aventures
Ils vont haillonneux et hagards.

Le sage, indigné, les harangue ;
Le sot plaint ces fous hasardeux ;
Les enfants leur tirent la langue
Et les filles se moquent d'eux.

C'est qu'odieux et ridicules,
Et maléfiques en effet,
Ils ont l'air, sur les crépuscules,
D'un mauvais rêve que l'on fait ;

C'est que, sur leurs aigres guitares
Crispant la main des libertés,
Ils nasillent des chants bizarres,
Nostalgiques et révoltés ;

C'est enfin que dans leurs prunelles
Rit et pleure - fastidieux -
L'amour des choses éternelles,
Des vieux morts et des anciens dieux !

- Donc, allez, vagabonds sans trêves,
Errez, funestes et maudits,
Le long des gouffres et des grèves,
Sous l'oeil fermé des paradis !

La nature à l'homme s'allie
Pour châtier comme il le faut
L'orgueilleuse mélancolie
Qui vous fait marcher le front haut,

Et, vengeant sur vous le blasphème
Des vastes espoirs véhéments,
Meurtrit votre front anathème
Au choc rude des éléments.

Les juins brûlent et les décembres
Gèlent votre chair jusqu'aux os,
Et la fièvre envahit vos membres,
Qui se déchirent aux roseaux.

Tout vous repousse et tout vous navre,
Et quand la mort viendra pour vous,
Maigre et froide, votre cadavre
Sera dédaigné par les loups !








dimanche 24 juillet 2011

De l'art gothique à l'art grotesque avec les sculptures de Jean-Joseph Carriès

(Elément de la porte monumentale qui fut commandée à Carriès par une riche américaine, malheureusement inachevée suite à son décès.)

Grenouille à oreilles de lapin
Jean-Joseph Carriès né à Lyon le 15 février 1855, est l'un des grands céramistes et sculpteurs symbolistes de la fin du XIXe siècle.
Il réalise de nombreux portraits de contemporains, des figures historiques ainsi que des créatures fantasmagoriques.
Crapaud et grenouille

 Dans cet autoportrait imaginaire, Carriès s'est représenté vêtu d'une armure médiévale. La stricte frontalité de la pose met en valeur le beau visage de l'artiste qui frappe par son impassibilité méditative sous son casque de conquistador. Dans le regard plein de mélancolie semble se refléter la désolation des champs de bataille.
Le Grenouillard

La Porte Monumentale de Parsifal
Détail d’un élément grotesque de La Porte de Parsifal


Le Christ

Le Dernier Sommeil
Cette sculpture a une histoire puisqu'elle fait partie d'une commande que la veuve du peintre Eugène Allard avait effectuée. Ce dernier a été assassiné à Rome à 35 ans par son modèle, alors que le buste est banal, Carriès décide de confectionner une seconde sculpture représentative pour lui de l'émotion qui se dégage de ce crime.
"Le Dernier Sommeil"...sur le visage du défunt, un linceul a été tiré, qui épouse les contours de la tête, mais s'en détache par endroit, se plisse sur les yeux sans regard, sur la bouche sans souffle. C'est un autre visage, une deuxième peau, déformée, bousculée, tourmentée.

Faune
Quelques photographies de l'exposition "Jean Carries - La matière de l'Etrange",  Petit Palais à Paris.



Parfum d'Aphrodite pour beautés ténébreuses avec Leconte de Lisle et Mia Araujo


Les illustrations sont de Mia Araujo, une artiste de Los Angeles
Le site de l'artiste : http://art-by-mia.com/

Hymnes orphiques - Parfum d'Aphrodite, par Leconte de Lisle
La Myrrhe

O Fille de l’Écume, ô Reine universelle,
Toi dont la chevelure en nappes d’or ruisselle,
Dont le premier sourire a pour toujours dompté
Les Dieux Ouraniens ivres de ta beauté,
Dès l’heure où les flots bleus, avec un frais murmure,
Éblouis des trésors de ta nudité pure,
De leur neige amoureuse ont baisé tes pieds blancs,
Entends-nous, ô Divine aux yeux étincelants !

Par quelque nom sacré que la terre te nomme,
Ivresse, Joie, Angoisse adorable de l’homme
Qu’un éternel désir enchaîne à tes genoux,
Aphrodite, Kypris, Érycine, entends-nous !

Tu charmes, Bienheureuse, immortellement nue,
Le ramier dans les bois et l’aigle dans la nue ;
Tu fais, dès l’aube, au seuil de l’antre ensanglanté,
le lion chevelu rugir de volupté ;
Par Toi la mer soupire en caressant ses rives,
Les astres clairs, épars au fond des nuits pensives,
Attirés par l’effluve embaumé de tes yeux,
S’enlacent, déroulant leur cours harmonieux ;
Et jusque dans l’Érèbe où sont les morts sans nombre,
Ton souvenir céleste illumine leur ombre !