Antonin Artaud et Cécile Brusson, dans l'interprétation du Moine de Lewis.
“Nul n'a jamais écrit, peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l'enfer.”(Antonin Artaud)
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Le Théâtre de la cruauté est un terme introduit par Antonin Artaud, "ce mot de cruauté doit être pris dans un sens large, et non dans le sens matériel et rapace qui lui est prêté habituellement", il s'agit de désigner la forme dramatique à laquelle il travailla dans son essai Le théâtre et son double.
Derrière "cruauté" il faut entendre "souffrance d'exister". L'acteur doit brûler les planches comme un supplicié sur son bûcher. Selon Artaud, le théâtre doit recouvrer sa dimension sacrée, métaphysique et porter le spectateur jusqu'à la transe.
Ci-dessus : Josette Lusson se jette aux pieds d'Artaud, sous le regard de Cécile Brusson et Juliette Geneste.
Ci-dessus un auto-portrait réalisé pendant un internement.
Selon Artaud, pour que le théâtre redevienne grave et que les événements ne le dépassent pas, le théâtre doit abandonner le primat de l'auteur pour celui du metteur en scène. Les mots ne doivent pas être utilisés pour ce qu'ils sont, mais plutôt "dans un sens incantatoire, vraiment magique – pour leur forme, leurs émanations sensibles et non plus seulement pour leur sens", "il ne s’agit pas de supprimer la parole articulée, mais de donner aux mots à peu près l’importance qu’ils ont dans les rêves".
En s'éloignant du texte, Artaud veut s'éloigner du réalisme pour pousser le théâtre à cesser de se "borner à nous faire pénétrer dans l’intimité de quelques fantoches" et "de l’arracher à son piétinement psychologique et humain".
Les thèses d'Artaud n'ont jamais été appliquées telles quelles, ni par lui, ni par aucun dramaturge, mais elles ont exercé une influence décisive sur le théâtre contemporain.
Ci-dessus, Antonin Artaud contemple Josette Lusson poignardée.
Ci-dessus, une photo datant de 1927 (le photographe m'est inconnu ?)
"Il y a dans tout dément un génie incompris dont l’idée qui luisait dans sa tête fit peur, et qui n’a pu trouver que dans le délire une issue aux étranglements que lui avait préparés la vie."(Antonin Artaud)
"A jamais la jeunesse reconnaîtra pour sien cet oriflamme calciné."(André Breton)
"En 1936, lors de son voyage au Mexique, il s'était rendu [...] chez les Indiens de la Sierra Tarahumara dans l'espoir d'y retrouver le secret d'une poésie symboliquement efficace, corporelle et vivante. Initié à leurs rites au cours d'un séjour de plus d'un mois, il écrivit à son retour en France et pendant plus de dix ans nombre de textes retraçant cette expérience."
Voici un des écrits ; "Tutuguri, le Rite du Soleil Noir", est un texte consacré au rite du peyotl chez les Tarahumaras.
Tutuguri, Le Rite du Soleil Noir
Et en bas, comme au bas de la pente amère,
cruellement désespérée du cœur,
s'ouvre le cercle des six croix,
très en bas,
comme encastré dans la terre mère,
désencastré de l'étreinte immonde de la mère qui bave.
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La terre de charbon noir
est le seul emplacement humide
dans cette fente de rocher.
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Le Rite est que le nouveau soleil passe par sept points
avant d'éclater à l'orifice de la terre.
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Et il y a six hommes,
un pour chaque soleil,
et un septième homme
qui est le soleil tout cru
habillé de noir et de chair rouge.
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Or, ce septième homme est un cheval,
un cheval avec un homme, qui le mène.
Mais c'est le cheval
qui est le soleil, et non l'homme.
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Sur le déchirement d'un tambour et d'une trompette longue, étrange,
les six hommes, qui étaient couchés, roulés à ras de terre,
jaillissent successivement comme des tournesols,
non pas des soleils, mais sols tournants, des lotus d'eau,
et à chaque jaillissement, correspond le gong de plus en plus sombre
et rentré du tambour
jusqu'à ce que tout à coup on voie arriver au grand galop,
avec une vitesse de vertige,
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le dernier soleil,
le premier homme,
le cheval noir avec un
homme nu,
absolument nu
et vierge
sur lui.
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Ayant bondi, ils avancent suivant des méandres circulaires
et le cheval de viande saignante s'affole et caracole sans arrêt
au faîte de son rocher, jusqu'à ce que les six hommes
aient achevé de cerner complètement les six croix.
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Or, le ton majeur du Rite est justement L'ABOLITION DE LA CROIX.
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Ayant achevé de tourner
ils déplantent les croix de terre
et l'homme nu sur le cheval
arbore,
un immense fer à cheval
qu'il a trempé dans une coupure de son sang.